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Contes
et légendes du pays basque |
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Au Pays Basque (comme ailleurs...)
les contes et les légendes sont certainement les genres littéraires
qui plongent le plus profondèment dans la mentalité populaire.
Certains, remontent bien au-delà de la christianisation. De cette
période, subsitent des êtres mystérieux : les laminak.
Androgynes, à l'aspect physique mal défini, les laminak
sont tributaires de l'homme dont ils reclament l'assistance en échange
de promesses (pas toujours tenues !) de fabuleux trésors. La christianisation
a été l'occasion d'une libre adaptation des paraboles chrétiennes,
illustrées par les aventures de Jésus et Saint-Pierre.
De tradition orale, ces légendes se sont transmises par les récits
maternels, et au hasard de rencontres avec des personnages aussi typiques
qu'insolites. La liberté de construction de la langue basque se
prête merveilleusement à la construction de récits
en tout genre. La traduction à peu près littérale
des légendes proposées dans cette rubrique conserve ainsi
la saveur des expressions locales.
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Il y a quelques deux ou trois cents ans, les Laminak,
dit-on, avaient une demeure à Saint-Pée, sous le pont d'Utsalea.
Mais, on avait beau y regarder, personne ne pouvait rien savoir de cette
retraite.
Une fois, cependant, raconte-t-on, un de ces Laminak allait mourir. Ses
compagnons savaient fort bien que son heure était venue ; et, fatalité,
il ne pouvait absolument pas trépasser, sans qu'un être humain
-qui ne fût pas un Lamina- fût venu le voir et eût récité
devant lui une prière, si petite fût-elle !
Les Laminak avaient un ami à Gaazetchea ; l'un d'entre eux s'en
fût au près de lui :
Par grâce, vous allez venir jusque chez nous !... Un de nos compagnons
est très mal, et il ne pourra exhaler son dernier souffle que vous
ne l'ayez vu et que vous n'ayez dit une petite prière pour lui.
Vous aurez un beau salaire : une somme de cinquante francs, sans compter
quelques étrenne.
Cinquante francs n'étaient pas alors faciles à gagner...
La femme de Gaazetchea se résout donc à l'expédition,
et advienne que pourra !...
Tandis qu'ils s'acheminaient tous
les deux vers le pont d'Utsalea, le Lamina dit à sa compagne :
S'il vous arrive d'entendre quelque bruit, tout à l'heure, tandis
que vous sortirez de chez nous, ne regardez pas, je vous prie, en arrière
! Allez toujours votre chemin, droit devant vous. Sans cela, vous perdrez
votre cadeau, et vous ne vous en serez même pas doutée.
- C'est bien. Je ne vais certes pas regarder en arrière !
Les voilà donc près du pont d'Utsalea. Il leur fallait traverser,
pour entrer dans la maison. Le Lamina frappe l'eau avec une sienne baguette,
et, tout de suite, l'onde de divise en deux parts. Tous deux ils passent
; et, derechef, de sa baguette, le Lamina frappe l'eau qui reprend immédiatement
sa place.
La femme pénètre dans la maison ; elle dit une prière
devant le Lamina expirant et s'apprête à sortir.
Mais les Laminak n'entendaient pas qu'elle s'en allât ainsi, sans
s'être du tout restaurée : Elle mangerait bien une bouchée
tout au moins !
Ils lui servent donc un fort bon repas ; et puis, en plus d'une somme
de cinquante francs, ils lui remettent une tabatière en or.
Ravie, elle s'en retournait donc chez
elle. Tout à coup, entendant quelque bruit, elle tourne la tête...
Adieu ! Sans même qu'elle s'en rende compte, elle perd... sa tabatière
en or !
Toujours avec son Lamina, elle arrive au bord de l'eau. Comme précédemment,
le Lamina prend sa baguette et frappe. Mais, cette fois, l'eau ne s'est
point divisée.
Il frappe encore une fois ; mais, encore une fois bien inutilement. Dès
lors, le Lamina savait pourquoi l'eau ne se divisait pas ; mais il n'osait
pas s'en ouvrir à sa compagne. Une dernière fois, il frappe
avec la baguette... Et l'eau de demeurer toujours immobile !
Le Lamina dit alors à la femme :
Vous devez avoir, sur vous, quelque petite chose à nous et que
vous aurez prise par mégarde ?
Elle veut dissimuler et répond :
Je ne crois pas, Madame Lamina !... à moins que ce ne soit quelque
épingle...
Elle se fouille et dit :
Non, non, je ne trouve rien.
- Cependant, je n'arrive pas à diviser l'eau !... Et dès
lors, si vous ne dites pas votre larcin, nous voilà ici pour un
moment !
Et la bonne femme de dire alors : Tout ce que j'ai sur moi, c'est un tout
petit peu de votre pain que j'ai pris dans le coin de mon mouchoir, afin
de montrer chez moi combien il est blanc. (Il l'était, dit-on,
plus même que la neige.)
- C'est une chose qui peut arriver à tout le monde... Mais on ne
peut rien emporter de chez nous. Voilà pourquoi vous me rendrez
ce pain, je vous prie, personne ne devant jamais rien voir de ce qui nous
appartient.
La brave femme lui rend donc le pain, et à peine la baguette a-t-elle
effleuré l'eau, que, tout de suite, cette eau s'entr'ouvre et se
range.
En même temps aussi s'évanouissait le Lamina...
La pauvre femme de Gaazetchea, cette
nuit, y gagna d'avoir fait son voyage pour rien, car, tandis qu'elle s'en
revenait, les cinquante francs fondirent eux aussi dans sa poche !
Voilà pourquoi, de nos jours encore, nous ne savons pas au juste
des Laminak, ni ce qu'ils sont, ni de quoi ils se nourrissent, ni dans
quelles habitations ils vivent.
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Voilà bien bien longtemps,
dit-on, il y avait un tailleur de pierre.
Estimant qu'il se fatiguait à frapper contre la pierre et qu'il
lui valait mieux être autre chose, il voulu être riche.
Comme il y avait en ce temps-là beaucoup de Laminak, un de ces
Laminak l'entendit et, sur-le-champ, le fait riche.
Mais, sous prétexte qu'il y avait encore plus puissant que lui,
il en eut assez de son sort, et il voulut être Empereur. Et le Lamina
le fit Empereur.
Par un été brûlant, il fut importuné par le
soleil, et il réfléchit qu'il lui valait mieux être
Soleil. Et le Lamina le fit Soleil.
Mais, le temps s'étant un peu brouillé, un nuage se mit
devant lui, et, offusqué, il pensa qu'il lui valait mieux être
nuage. Et le Lamina le fit Nuage.
Mais tandis qu'il déversait des trombes de pluie sur la terre,
il observa qu'il n'agitait même pas certains gros rochers, et plus
tôt que nuage il eût mieux aimé être rocher.
Et le Lamina le fit Rocher.
Mais un marteau de fer à la main, un homme le fit sauter morceau
par morceau, et il cria qu'il lui fallait être cet homme-là.
Et, l'ayant fait Tailleur de pierre, le Lamina lui dit en le persiflant
:
Qui a l'un veut avoir l'autre ! Te voilà aussi avancé que
devant ! Depuis maintenant, demeurons ainsi : moi Lamina et toi Tailleur
de pierre.
Et le Lamina ne reparut plus jamais au tailleur de pierre.
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Une fois,
tandis qu'ils allaient par le Pays Basque, le Seigneur Jésus, lui
montrant par terre quelque chose, dit à Saint-Pierre : Ramasse de
terre ce fer à cheval. Mais Saint-Pierre, à la dérobée,
d'un coup de pied, chasse le fer à cheval, en se disant par devers
lui-même : Pourquoi recueillir cette méchante ferraille ?
Le Seigneur Jésus, alors, à la dérobée lui aussi,
releva lui-même le fer, et, en arrivant au village, il le vendit deux
sous à un forgeron. Ensuite, avec ces deux sous, il acheta des cerises.
Et ils se remirent en route.
Il faisait atrocement chaud. Saint-Pierre, la bouche desséchée,
regardait de tous les côtés, et se disait : N'allons-nous donc
pas voir, par ici, une petite source seulement ?
Dans ce même moment, et comme si de rien n'était, le Seigneur
Jésus laissa tomber de sa poche une cerise. Saint-Pierre s'en saisit
tout de suite et la porta gloutonnement à la bouche, craignant d'être
vu par le Seigneur Jésus.
Un peu plus loin, une fois, deux fois, dix fois, vingt fois, ce fut le même
manège encore : le Seigneur Jésus jetait les cerises, et Saint-Pierre
les mangeait jusqu'à la dernière.
Ils s'arrêtèrent ensuite un instant sous le couvert d'un arbre,
et le Seigneur Jésus dit à Saint-Pierre : Si, une fois seulement,
tu t'étais courbé pour relever le fer à cheval, tu
n'aurais pas eu à te baisser vingt fois pour manger les cerises !
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En d'autres temps, dans
une maison, il y avait trois fils.
Un jour, l'aîné dit sa mère : Mère, faites vite
les petits pains, que je m'en aille ensuite faire fortune.
La mère fait les petits pains, et le fils s'en va par monts et par
vaux. Tandis qu'il s'en allait ainsi, sur le bord d'une rivière il
rencontre le Seigneur Jésus et Saint-Pierre.
Le Seigneur Jésus l'appelle et lui dit : Dis, jeune homme, est-ce
que, en échange d'une récompense, tu nous passeras de l'autre
côté ? - Mais certainement ! Et notre jeune homme les transporta
donc de l'autre côté.
En récompense, alors, le Seigneur Jésus lui donna une nappe
et lui dit : Tiens, prends cette nappe. Toutes les fois que tu auras faim
ou soif, il te suffira de dire : Nappe, étends-toi ! et, sur cette
nappe, aussitôt, tu auras tout le boire et le manger qu'il faudra.
Enchanté d'avoir déjà fait fortune, le jeune homme
reprend aussitôt le chemin de la maison. Et il allait, il allait toujours.
Le soir, il parvient à une auberge. En allant se coucher, il confie
la précieuse nappe aux gens de l'auberge et leur dit : je vous en
prie, ne vous hasardez pas à dire à cette nappe : Nappe, étends-toi
! - Que non, bien certainement !
Mais le jeune homme était à peine couché, que les hôteliers
disaient à la nappe : Nappe, étends-toi ! Et aussitôt,
brist , brast (comme par enchantement), sur la nappe s'alignèrent
des aliments et des boissons à n'en pas finir ! Je laisse à
penser l'effarement de ces gens !
Le lendemain, à peine se fut-il éloigné de l'auberge
que notre garçon, du reste absolument affamé, étendait
la nappe sous un arbre et disait : Nappe, étends-toi ! Mais il eut
beau dire, il eut beau répéter, la fausse nappe demeura dégarnie.
Et le pauvre garçon, tout hébété de douleur,
s'en retourna chez lui sans avoir fait fortune.
Bien vite après, le deuxième fils
dit à sa mère : Mère, faites les petits pains ; que
je m'en aille ensuite faire fortune.
La mère fait les petits pains, et le fils s'en fut par routes et
par chemins.
Au bord de la même rivière, lui aussi il rencontre le Seigneur
Jésus et Saint-Pierre.
Le Seigneur Jésus le hèle : Dis, jeune homme, est-ce que,
en échange d'une récompense, tu nous passeras de l'autre
côté.
Le Seigneur Jésus, alors, pour le récompenser, lui fit don
d'un âne, en lui disant : Tiens, prends cet âne. Chaque fois
qu'il t'arrivera d'avoir besoin d'argent, dis à cet âne :
Au travail, mon âne ! et cet âne, aussitôt, te donnera
de l'or par ruisseau.
Notre homme, enchanté d'avoir fait fortune, prend aussitôt
le chemin de retour.
Le soir, il parvient lui aussi à la même auberge que son
frère. Et, s'en allant au lit, il confia l'âne, en disant
: De grâce, n'allez pas dire à cet âne : Au travail,
mon âne ! - Que non, certes !
Mais, le jeune homme était à peine couché, que les
hôteliers dirent à l'âne : Au travail, mon âne
! Et voici que l'âne ne s'arrêtait plus de leur faire de l'or
par ruisseau. Et grand fut l'effarement de ces gens.
Sur-le-champ, ils troquèrent cet âne contre un âne
en tous points semblable, et puis, bien silencieusement, ils s'en vont
au lit.
le lendemain, aussitôt qu'il se fut éloigné de l'auberge,
notre garçon dit à l'âne : Au travail, mon âne
! Mais, toute révérence gardée, l'âne, par
ruisseau, lui fit de cette autre chose (que vous devinez bien). Et notre
homme, navré de n'avoir pas fait fortune, s'en revint chez lui
tout déconfit.
Vite après, le troisième fils dit
sa mère : Mère, faites vite des petits pains. C'est mon
tour d'aller faire fortune.
La mère fait les petits pains, et le fils s'en fut par routes et
par chemins.
Au bord de la même rivière toujours, il rencontre, lui aussi,
le Seigneur Jésus et Saint-Pierre.
Le Seigneur Jésus le lui ayant demandé, il les transporta
tous deux de l'autre côté. Et le Seigneur Jésus, en
récompense, lui remit un bâton : Frappe, Maria, frappe !
et ... tu verras ce que tu verras.
Bonjour et merci bien ! pour le soir, notre garçon était
rendu à l'auberge même où l'on avait pillé
ses deux frères.
En allant au lit, il dit aux hôteliers : Serrez-moi, je vous prie,
ce bâton, jusqu'à demain matin. Mais dans votre intérêt,
gardez-vous bien de lui dire : Frappe, Maria, frappe ! - On s'en garderait,
certes !
Mais à peine le garçon était-il couché, que
les hôteliers prenaient le bâton et lui disaient : Frappe,
Maria, frappe !
Ah ! bien oui ! Voici que le bâton, à l'instant même,
frappe kisk , frappe kask , s'acharnant après les choses et les
gens, menaçant de tout briser. Et les hôteliers de gémir
aussitôt, Aïe ! par ici, Atch par là. Impossible absolument
d'arrêter le bâton. Il frappait, il frappait toujours ! Si
bien que, à la fin, notre garçon se lève à
ce tapage.
Affolés, les hôteliers hurlaient : De grâce, nous vous
en prions, arrêter le bâton ! Et nappe, étends-toi
! Au travail, mon âne ! tout cela vous sera rendu !
Notre garçon dit : Arrête, Maria, arrête ! et arrêta
ainsi le bâton.
Puis, juché sur Au travail, mon âne, la Nappe étends-toi
sous le bras, Frappe, Maria, frappe à la main, il s'en revint à
la maison.
Avec sa mère et ses deux frères, il vécut riche,
Dieu sait combien de temps !
Et, bien s'ils vécurent, bien ils durent mourir.
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Le Seigneur
Jésus et Saint-Pierre allaient donc de par le Pays Basque, cette
fois-là encore.
Quelque part par là, en Labourd, ils rencontrent une femme qui s'en
allait, une citrouille sur la tête, une autre encore dans la main.
Saint-Pierre dit à Jésus :
Seigneur, ces citrouilles, elle les a volées ! J'y mettrais mon cou...
- Tais-toi, Pierre, et ne jure pas ainsi ; la citrouille n'est que de l'eau
seulement... Ne savais-tu pas cela, innocent ?
Voilà pourquoi, dit-on, il est permis, depuis, de prendre dans les
champs la citrouille d'autrui. C'est de l'eau seulement ! |
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Un jour, dans le temps
que le Seigneur Jésus et Saint-Pierre cheminaient en Pays Basque,
ils rencontrèrent un ancien soldat qui mendiait, parce qu'il avait
été quelque peu blessé.
Le vieux soldat demanda donc une aumône au Seigneur Jésus.
Et le Seigneur de lui répondre qu'il n'avait point besoin d'argent,
mais qu'il lui donnerait tout de même quelque chose :
Voulez-vous un sac de tout de suite ou le ciel plus tard ?
Et Saint-Pierre lui soufflait à voix basse :
Demande-lui le ciel... le ciel !
Et l'homme de lui répondre tout haut :
Vous en parlez à votre aise, vous !... S'il ne nous fallait pas vivre
avant d'aller au ciel, oui !... Seigneur, donnez-moi, je vous prie, un sac.
Et, lui donnant un sac, le Seigneur Jésus dit :
Au moindre besoin, vous aurez assez de lui dire : Trentekutchilo !
Bonjour et mille mercis, notre homme s'en fut,
tandis que Saint-Pierre le gourmandait à voix basse. Et, tout de
suite après, voilà que survient un boulanger avec une voiture
remplie de pains encore tout chauds. L'ancien soldat demande au boulanger
s'il veut bien lui donner un peu de pain.
T'imagines-tu donc que j'ai mes pains pour toi ? Tu n'en auras pas. Va
ton chemin !
Ah ! oui bien ?... Le mendiant de crier aussitôt : Trentekutchilo
!... Et le sac de se remplir instantanément de pains. Notre homme
s'en fut aussitôt joyeusement, ayant des vivres pour quelques jours.
Vite après, un collecteur d'impôts
vient à passer avec un âne tout chargé d'argent. Et
notre homme de lui crier :
Donnez-moi, je vous prie, quelques sous.
- Quelques sous ? Non ! Pas un liard seulement ! Penses-tu que ce soit
pour ton joli minois que j'ai recueilli tout cet argent ?
Il tombait bien de parler ainsi ! Le vieux soldat de crier aussitôt
: Trentekutchilo ! Et son sac de se remplir d'or instantanément.
Et il était riche ainsi et pour toujours.
Vite après, il se maria. Et il vivait heureux,
allant béatement faire sa promenade de tous les jours.
Et voici qu'un jour, il se rend compte que sa femme devient sombre et
s'étiole, tous les jours un peu plus :
Qu'avez-vous donc pour être triste ainsi ? N'auriez-vous pas tout
ce que vous désirez ?
Sa femme, d'abord, n'osa rien lui avouer. Mais, ensuite, elle lui confia
qu'à chaque fois qu'il était sorti, un homme grand et laid,
un monstre, venait qui la mettait dans des transes terribles.
Le lendemain, le vieux soldat, ayant simulé une sortie, se cacha
dans le coin de la porte.
Arrive l'homme monstrueux. Le vétéran de crier : Trentekutchilo
! Et le monstre de s'enfermer aussitôt dans le sac, la tête
la première. Le soldat le frappe alors et le roue de coups et finalement...
le tue.
Puis, il porte les ossements du monstre chez le forgeron du village, lui
demandant d'en faire quelque chose.
Le forgeron voulut en faire une croix. Mais, en aucune manière
il ne put parfaire l'ouvrage. Et c'est ainsi qu'ils se convainquirent
que le dit monstre était un démon.
Le vétéran mourut enfin de vieillesse.
Mais auparavant, il demanda que sa femme lui fit la grâce de mettre
le sac dans son cercueil.
Il s'en fut donc, avec le sac, à la porte du ciel.
Mais Saint-Pierre, sans le moins du monde ouvrir sa porte, le dévisagea
d'une petite fenêtre, et ayant tout de suite reconnu l'homme, il
se mit à lui crier :
Où viens-tu ?... Au ciel ? Toi, au ciel ?... Lorsque, jadis, le
Seigneur te donna le choix entre ce ciel et un sac misérable, dare
dare tu laissas le ciel pour le sac ! Avec ton sac, va maintenant où
tu voudras. Et, vivement, il referma la petite fenêtre.
Le pauvre homme s"en allait donc en enfer. Mais, devant lui, aussitôt,
des diables surgissent innombrables, qui, la fourche pointue dans les
mains, se prennent à lui crier :
Où penses-tu venir ?... En enfer ?... Polisson que tu es ! Il y
a de cela quelques années, sur terre, tu nous as tué notre
père. Va-t'en d'ici, si tu es sage, et vivement encore !...
Il s'en revient donc du côté du ciel.
Cette fois, par mégarde, Saint-Pierre avait laissé la porte
entr'ouverte. Le vieux soldat entre donc dans le paradis.
Mais Saint-Pierre eut assez vite fait de le remarquer et lui cria d'avoir
à vider les lieux, et un peu vivement !
Notre homme eût désiré dire quelque chose. Mais Saint-Pierre
ne voulait rien entendre.
Ne sachant plus à quoi se résoudre, le vieux soldat alors
de s'écrier : Trentekutchilo ! Et Saint-Pierre se trémoussait,
refusant d'entrer dans le sac... Mais, Dieu me pardonne ! de gré
ou de force, il lui fallut bien y entrer, le Seigneur Jésus, autrefois,
l'ayant ainsi décrété.
Sur ces entrefaites, la Sainte Vierge s'approcha de cet esclandre.
Elle écouta les raisons du vieux soldat, et puis, tout de suite,
dans un sourire, elle arrangea toutes choses. Elle délivra Saint-Pierre,
l'apaisa affectueusement, et... fit entrer le soldat dans le ciel.
Quand, un jour, nous y serons nous-mêmes, nous l'y verrons, tout
à côté de la porte, sur la droite.
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Trois jeunes enfants étaient
restés orphelins de père et de mère. Comme ils étaient
sans ressources, n'ayant pas même un morceau de pain à mettre
sous la dent, ils suivirent le conseil de leur cadet et se mirent en route
pour chercher fortune. De forêt en forêt, ils arrivèrent
au soir sans rencontrer une maison où souper. Le cadet grimpe sur
un arbre et découvre au loin un beau château. Il y conduit
ses frères que réjouit l'espoir d'un bon repas. Ils frappent
et demandent la charité du vivre et du couvert pour la nuit.
Le maître était absent. La servante les fait entrer et leur
sert un souper copieux dont ils ne laissent miette. Puis, elle les fait
se coucher dans une barrique sans fond.
- Gardez-vous, leur dit-elle, de faire le moindre bruit, de prononcer un
mot ; car bientôt rentrera le Tartare, mon maître, et s'il découvre
qu'il y a chez lui quelque chrétien, il vous mangera sans miséricorde.
Les trois orphelins, saisis de terreur, se tiennent cois, osant à
peine respirer.
Alors arrive le Tartare. A peine est-il entré qu'il va flairant ça
et là.
- Il y a, dit-il en grondant, quelque chrétien ici.
- Vous vous trompez, Monsieur, il n'y en a point.
- S'il n'y en a plus, il y en a eu du moins ; j'en sens l'odeur. Dis-moi
la vérité ou je t'extermine.
la servante, épouvantée, n'osa pas nier davantage.
- A dire vrai, Monsieur, il est venu ici, pendant votre absence, quelques
chrétiens. Mais ils sont tout petits et sont arrivés à
moitié morts de froid et de faim. Je les ai fait réchauffer
auprès du feu et leur ai donné à manger. Ils sont là,
dans cette barrique, déjà endormis.
- Sortez de là, dit le Tartare d'une voix rude, en retirant la couverture
placée sur la barrique.
Les enfants quittent leur couche et se présentent tout tremblants.
- Donne-leur encore à manger et à boire, dit le Tartare à
la servante, et conduis-les dans la chambre où est le lit.
La servante obéit et redescend ensuite dans la cuisine. Le Tartare
avait mis sur le feu une grande chaudière pleine d'eau et aiguisait
son couteau. Il lui dit :
- Surveille ces enfants, et quand ils dormiront, viens m'avertir.
La servante monte dans la chambre et trouve les enfants éveillés.
- Pauvres petits, leur dit-elle à voix basse, prenez bien garde à
vous ; tout à l'heure mon méchant maître montera pour
vous tuer.
Elle redescend ensuite à la cuisine et annonce au Tartare que les
enfants ne sont pas encore endormis.
Cependant les trois frères tiennent conseil. Comment fuir ? Par la
fenêtre sans doute. Mais elle est bien haute et ils n'ont pas de corde.
le cadet dit que le drap du lit, bien attaché, peut remplacer la
corde, pourvu qu'ils descendent un à un. Ils s'échappent ainsi
et s'éloignent à toutes jambes. la servante vient à
la porte. Elle écoute ; elle regarde par le trou de la serrure et
ne voit ni n'entend rien.
Le Tartare averti monte l'escalier, entre dans la chambre et crible de coups
de couteau le lit qui n'en peut. Dès le matin il songe à préparer
son ragoût et trouve le lit vide.
- Où as-tu mis ces trois agneaux ?
- Je n'y ai point touché et ne suis pas revenue à la chambre
depuis hier soir.
- Ils sont partis ; mais je les rattraperai bien. Donne-moi mes bottes sans
tarder.
Or, quand le Tartare avait chaussé ses bottes, il faisait cent lieues
d'une seule enjambée. Vous pensez qu'il ne lui fallut pas longtemps
pour rattraper les enfants. Ils le virent venir de loin et se cachèrent
derrière un buisson. Le Tartare cependant choisit un bon endroit
pour s'étendre et ne tarda pas à s'endormir.
Les enfants connaissaient bien la vertu des bottes de cent lieues et résolurent
de s'en emparer, comme de leur unique moyen de salut. Ils s'approchèrent
donc sans bruit du dormeur et tout doucement lui retirent ses bottes. Aussitôt,
ils reprennent le chemin du château :
- Tenez, disent-ils à la servante, nous venons de la part de Monsieur
vous demander de nous donner l'argent qui est dans l'armoire. C'est pour
nous payer d'avoir retrouvé ses bottes que nous vous rapportons.
La servante, persuadée par la vue des bottes, leur remit l'argent
de l'armoire, avec quoi les trois enfants retournèrent dans leur
maison, riches désormais.
Quant au Tartare, privé de ses bottes, il eut beaucoup de peine à
rentrer à la maison. Et vous pensez bien quelle fut sa colère
et sa honte quand il apprit qu'il avait été dupé par
des enfants. |
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